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Maintenant que la campagne électorale québécoise est commencée, le débat politique va être naturellement orienté vers les propositions des partis au Québec. Depuis les années 1970 de toute façon, le processus électoral provincial occupe la plus grande place dans l’imaginaire de la nation. C’était un peu inévitable, compte tenu de l’enjeu de la souveraineté, qui a pris beaucoup de place pour des raisons qui peuvent être comprises. Dans ce débat sans cesse renouvelé, on a parfois tendance, cependant, à oublier qu’au Canada, il y a un seul État, qui dispose des véritables leviers du pouvoir. Face à cet État, les gouvernements provinciaux ont des capacités limitées et une juridiction assez restreinte compte tenu du fait que c’est à Ottawa que le pouvoir réside. On voit donc le dilemme. On dira que la souveraineté va éventuellement régler ce problème, mais en attendant, il faut regarder la réalité en pleine face. Ce n’est tout simplement pas vrai que Québec est un « gouvernement » autrement que « provincial », au sens propre comme au sens figuré du terme, et ce, malgré les déclarations habituellement tonitruantes des diverses administrations du PQ ou du PLQ.

Les nouvelles priorités du gouvernement fédéral

Depuis l’élection des Conservateurs en 2006 (et surtout depuis leur victoire en 2011), le Canada est entré dans une phase de restructuration en profondeur. Ce n’est pas un gouvernement d’« alternance », comme on a eu pendant plusieurs décennies et où les deux grands partis étaient dans le fond au « centre-droit ». Avec Harper, on a un projet qu’on peut qualifier de « révolutionnaire ». En premier lieu, il a pour mission de « réorganiser » l’économie canadienne selon un axe « Toronto-Calgary ». Toronto doit détenir tous les leviers du système financier et devenir une des plaques tournantes de l’économie financiarisée de l’Amérique du Nord (elle est déjà le 2ième centre financier après New-York). Calgary bien sûr devient le quartier-général du Canada « pétrolier », en gérant les gigantesques projets qui continuent de croître d’un bout à l’autre de l’ouest et du nord du Canada. Cet « axe » par définition exclut bien des régions : le sud-ouest industriel de l’Ontario, les provinces maritimes et bien sûr, le Québec, qui pourrait devenir, si la tendance se maintient, une sorte de gros Nouveau-Brunswick, fournisseur de main d’œuvre à bon marché, comme c’est déjà le cas pour les dizaines de milliers de travailleurs québécois exilés à Fort McMurray. Les élites et le gouvernement conservateur qui les représente veulent accélérer ce transfert, ce qui veut dire entre autres, l’abolition des filets de sécurité comme l’assurance-chômage, et qui permettaient non seulement de protéger les gens, mais aussi les secteurs économiques qui tournent au rythme des saisons dans plusieurs régions. Le gouvernement minoritaire du PQ est pourtant associé à ce projet qui est inacceptable, non seulement sur le plan environnemental, mais aussi de par ses impacts économiques prévisibles. En avalisant les projets de pipe-line sous prétexte de sauver quelques centaines d’emploi dans une pétrochimie réduite en peau de chagrin à Montréal, le PQ s’aligne sur l’« axe » Toronto-Calgary ». Est-ce une « erreur » ou un changement de cap ?

Mondialisation tout azimut

Le capitalisme financiarisé canadien, comme dans les autres pays capitalistes, lutte depuis plusieurs années pour les traités de libre-échange, soi-disant pour favoriser le commerce. Pour Harper en tout cas, la priorité est de sécuriser le libre-échange avec l’Europe. Dans l’ombre mais pas loin, il y a également le projet d’une zone de libre-échange Asie-Pacifique, dont les États-Unis seraient maîtres. Au lieu de favoriser l’économie et la création d’emplois, ces traités visent à précariser davantage la main d’œuvre, à la déstabiliser avec les menaces de délocalisation, et à imposer aux gouvernements des politiques d’austérité présentées comme « nécessaires » pour faire face à la ” compétition”. Encore là, on constate que le PQ est devenu le supplétif de Harper dans cette affaire, en se présentant comme un « champion » du libre-échange (c’est Bernard Landry qui avait pondu cette formule dans les années 1990). On essaie de faire passer la « pilule » en évoquant des clauses concernant la protection du travail et de l’environnement, mais jusqu’à date, aucun de ces traités, à commencer par l’ALÉNA, n’a intégré autre chose que la défense des « droits » des entreprises qui vont jusqu’au point d’interdire des législations votées par le parlement.

Du néolibéralisme au néoconservatisme

Depuis l’avènement du gouvernement Harper, l’accent a été mis sur la mise de l’avant de « valeurs » conservatrices autour du triangle « famille-Dieu-patrie ». Un dispositif législatif sans précédent a été inventé pour criminaliser la dissidence et les pauvres en général, appuyé sur un discours « moraliste ». Les immigrant-es et les réfugié-es sont soudainement devenus des « menaces » à la « sécurité nationale », ce qui fait qu’on peut les emprisonner et les expulser en plus grand nombre. Sur ce tournant, l’opinion québécoise a été plutôt hostile à Harper, ce qui explique, en partie en tout cas, leur déroute électorale au Québec en 2011. Mais voilà que la question rebondit sous la figure de la « charte des valeurs québécoises ». C’est pervers, car au nom du droit des femmes, on crée une autre polarisation entre « nous » (blancs et catholiques) et « eux » (surtout Musulmans et plutôt bruns ou noirs). Fait à noter, le projet de cette charte a été appuyé à Ottawa par une majorité de députés conservateurs, y compris ceux qui représentent des circonscriptions québécoises. Derrière le discours du gouvernement du PQ qui se veut rassurant, on a une explosion de racisme et de néoconservatisme exprimant un réel mépris pour une partie importante de la population qui ne sont pas, aux yeux des « Janettes » et des médias-poubelles, des personnes « réellement civilisées ». Encore là, il y a une convergence inavouable entre Harper et le PQ.

Retour dans le futur

Pendant la grande noirceur au Québec, le Québec mené par une coalition de droite et d’extrême droite a « gouverné » la province en symbiose avec les intérêts des grandes élites canadiennes. Celles-ci voyaient d’un très bon œil un gouvernement qui matraquait les syndicats et laissait les investisseurs mener « leurs » entreprises dans des opérations de prédation et de pillage pendant qu’on laissait la santé et l’éducation dans les « bonnes mains » de l’Église. Ces grands capitalistes, dont la bourgeoisie anglo-montréalaise, n’aimaient pas nécessairement le langage nationaliste et catholique de Duplessis et du Chanoine Groulx, mais à la limite, ils savaient bien que c’était le « prix à payer » pour éviter la mise en place d’une coalition progressiste. Et quand celle-ci a pris forme au tournant des années 1960, ces élites, de même que les gouvernements fédéraux et la droite au Québec, ont tout fait pour empêcher le PQ et ses alliés syndicaux de faire avancer le projet d’une souveraineté axée sur le progrès social, désengluée du discours frileux et réactionnaire du nationalisme de l’ancienne manière. En ce moment, il y a des éléments qui laissent penser qu’un sérieux retour en arrière n’est pas impensable, et où le nationalisme dans sa version péquiste trouverait sa place dans une sorte de « gouvernance souverainiste » bien alignée sur le projet néolibéral.

Il faut dire non

Contrairement aux années de la grande noirceur cependant, l’alignement des forces sociales et politiques constitue un obstacle à ce projet néoconservateur/néolibéral. On l’a vu avec les Carrés rouges et bien d’autres mobilisations populaires et syndicales. À l’Assemblée nationale, le débat n’est plus le même avec les députés solidaires dont Françoise David est devenue la politicienne la plus populaire au Québec. Ce n’est pas un hasard ! Néanmoins, le PQ en se rangeant dans le camp de la droite avec les encouragements de l’élite québécoise à la PKP, fragilise la capacité et la volonté d’une majorité de la population à résister au bulldozer nommé Harper. Il faut dire non à cela.

 

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Pierre Beaudet

Pierre was active in international solidarity and social movements in Quebec, and was the founder of Quebec NGO Alternatives, and Editor of the Nouveaux cahiers du socialisme. He blogged on rabble.ca in...