Aux lendemains des élections du 2 mai, le millionnaire-voleur Conrad Black, idéologue de droite de surcroît, racontait dans le Globe and Mail sa grande joie du fait de la victoire du NPD social-démocrate au Québec. Pour Lord Black en effet, ce triomphe devait être célébré, puisque l’anéantissement du Bloc Québécois représentait un très dur coup contre le nationalisme québécois. La réaction de Lord Black est assez partagée puisque, traditionnellement, au sein des élites canadiennes, le mouvement souverainiste québécois est un dangereux ennemi, au moins aussi menaçant, dans un sens, que la social-démocratie canadienne. Dans la continuité de cette posture, les dénonciations actuelles de Nycole Turmel “coupable” d’avoir été membre du Bloc et de Québec solidaire s’inscrivent dans cette hostilité de ces mêmes élites et de leurs appareils médiatiques comme le Globe and Mail. Les membres de l’opposition “loyale” et officielle de sa majesté doivent montrer patte blanche et certains d’entre eux, sous la forte pression médiatique, doivent se refaire un passé.

Fait à noter, la députation du NPD semble vaciller devant ces attaques. Certains “nient” d’avoir été “réellement” souverainistes. D’autres occultent leurs racines. En réalité, plusieurs députés nouvellement élus du NPD ont été associés à la cause souverainiste, en tant que membres de divers partis indépendantistes d’une part, ou dans le cadre de leur insertion dans le mouvement social (syndicalisme, mouvement populaire ou étudiant, etc.). Cette attitude défensive ou honteuse n’est probablement pas la meilleure façon de considérer la chose même si le leadership du NPD s’active à exiger ces reniements, de peur d’être accusés dans les médias canadien-anglais d’être des “traîtres à la nation” (canadienne).

La réalité est pourtant simple au Québec. La cause de la justice sociale a presque toujours été associée à celle de l’émancipation nationale. La majorité des partisans de la gauche a été et reste souverainiste, que ce soit en tant que membres de partis souverainistes, ou en tant que militants de la plupart des divers partis de gauche qui ont peuplé le paysage politique au Québec depuis 50 ans. Le NPD lui-même a été au Québec à deux reprises “converti” à la cause de l’émancipation nationale, ce qui lui a valu d’être ostracisé par la direction fédéraliste canado-anglaise. Les autres partis de gauche (à part le Parti communiste canadien et divers groupes dits “marxistes-léninistes” dans les années 1970) ont lié la lutte pour la transformation sociale à celle d’une indépendance populaire et progressiste.

Les raisons de cette réalité n’ont rien à voir avec une “déviation” ou une “obsession” nationaliste. L’État canadien, produit des classes dominantes, s’est construit sur l’oppression de la nation québécoise de même sur celle des nations autochtones. L’exploitation des classes populaires s’est appuyée et déployée sur la domination de ces nations. Jusqu’à l’essor du nationalisme québécois dans les années 1960, les populations québécoises étaient selon l’expression de Pierre Vallières les “nègres blancs des Amériques”. Lutter contre cette exploitation ne pouvait que s’imbriquer dans la lutte pour l’émancipation nationale.

Par la suite, le nationalisme québécois a pris son envol à travers une vaste alliance sociale dominée par une élite québécoise « en devenir », mais qui incluait la majorité des classes populaires urbaines et rurales. Pour la majorité de la gauche de l’époque (y compris les militants du NPD au Québec), la création d’un État québécois indépendant allait faciliter un renversement du pouvoir réel au profit des classes populaires. Après son élection en 1976, le PQ a pour un temps concrétisé ses attentes en s’inscrivant dans une optique globalement social-démocrate. Le fait que ce projet ait échoué devant la résistance opiniâtre des élites canadiennes et qu’il ait mené au virage à droite du PQ après 1980 n’a pas changé cette situation globalement.

Dans la dernière décennie, le mouvement populaire au Québec a continué ses luttes tant sur le plan national que sur le plan social. La démarcation avec le PQ s’est accentuée dans le sillon de son alignement sur un néolibéralisme agressif imposé par les élites canadiennes et québécoises via leurs outils et appareils qui prônent la soumission à l’ “ordre” établi, c’est-à-dire au capitalisme sauvage et à l’État fédéral. De ces batailles très dures resurgissent de nouveaux projets politiques dont celui de Québec solidaire. L’émancipation nationale fait ainsi partie d’un projet de société, et est explicitement insérée dans un programme de refondation de l’État, de la société et de l’économie. Il est dans ce contexte tout à fait normal et légitime que de nombreux militants de gauche, y compris au sein du NPD, se soient inscrits dans ce projet et ont même considéré complémentaire leur action politique au niveau fédéral et provincial.

Outre la haine exprimée par les élites canadiennes, cette “affaire” révèle d’autres fractures importantes. La direction fédérale du NPD, les divers partis provinciaux du NPD, en général les secteurs dominants de ce parti social-démocrate, ont toujours été hostiles au projet national québécois, d’où leurs déboires répétés avec leurs propres partisans au Québec. Cette hostilité reflète une posture capitulationniste devant les élites canadiennes, de même qu’une incompréhension profonde, au sein des formations social-démocrates, des luttes populaires au Québec. Malgré certaines déclarations récentes, le NPD n’a pas franchi la “ligne rouge”. Il ne s’est pas prononcé clairement en faveur du droit à l’autodétermination du peuple québécois. Il n’a pas combattu sérieusement les menaces de l’élite canadienne contre la nation québécoise (comme on l’a vu il y a quelques années lors de l’appui du NPD à la loi dite de la “clarté” pour entraver le processus souverainiste au Québec). En réalité, cette attitude est porteuse d’ambigüités et de faiblesses. Le NPD n’a pas à porter la « bannière » de l’État canadien tel que constitué historiquement. Il n’a pas à défendre les intérêts des élites sous prétexte d’un “patriotisme” de pacotille. Il n’a pas à troquer des positions de principe pour un électoralisme de courte vue. Il doit, résolument et systématiquement, se battre pour la justice sociale, ce qui inclut de se battre pour les droits des peuples québécois et autochtones, quitte à travailler fort pour convaincre des électeurs des classes populaires de certaines régions du Canada qui ont été contaminés par l’hostilité qui frise parfois le racisme contre le Québec.

Nycole Turmel, Alexandre Boulerice et bien d’autres députés du NPD qui proviennent du mouvement social québécois (on ne parle pas évidemment de Thomas Mulcair et d’une minorité fédéraliste “pure et dure”) devraient le dire clairement et avec fierté. Lutter pour changer l’État fédéral n’est pas contradictoire avec une insertion dans le mouvement social et national québécois, au contraire. Les partis progressistes comme le NPD, le Bloc, Québec solidaire, ont intérêt à œuvre ensemble, y compris dans une lutte sans compromis pour les droits fondamentaux du peuple québécois. Cette lutte implique pour les individus d’assumer pleinement leur identité politique et de refuser de passer au “confessionnal”, et où on leur demande de dire : “excusez-moi mon père, parce que j’ai péché. Un jour, j’ai été membre d’un parti séparatisse et je le regrette.”

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Pierre Beaudet

Pierre was active in international solidarity and social movements in Quebec, and was the founder of Quebec NGO Alternatives, and Editor of the Nouveaux cahiers du socialisme. He blogged on rabble.ca in...