Des mouvements populaires du Canada, du Québec et des Premières Nations, vont se réunir pour voir si et comment ils peuvent travailler ensemble, dans le cadre du Forum social des peuples (FSP), à Ottawa les 21-24 août prochain. L’idée sous-jacente est de penser une alliance qui pourrait tenir tête aux élites néolibérales et néoconservatrices qui menacent tout le monde. Certes, l’idée est plus qu’honorable. Mais ce n’est pas la première fois que des hommes et des femmes de bonne volonté tentent de se donner la main. Les résultats, pour autant, n’ont pas été concluants. En sera-t-il différent cette fois ? Pour éviter l’échec, il faut être conscient de l’histoire, car les peuples, ne sont jamais des « pages blanches ».. Marx disait, « le poids des générations mortes pèse lourd sur le cerveau des vivants »…
De la conquête à la rébellion
En 1763, après la conquête de la Nouvelle-France, une économie coloniale est mise en place pour assurer la prédation et le pillage des ressources. Les paysans francophones et les communautés autochtones, majoritaires sur le plan démographique, mais impuissants de par la dislocation de leurs structures nationales et étatiques, subissent le choc. La répression est systématique (l’expulsion de 10 000 colons français de l’Acadie entre 1755 et 1762). Mais il y a aussi résistance. Dès la première moitié du dix-neuvième siècle, des projets républicains resurgissent. Dans le « Bas-Canada » (le Québec), des milliers de personnes se réunissent à travers de grandes assemblées populaires. Le Parti Patriote, présidé par Louis-Joseph Papineau, est largement majoritaire au sein de l’assemblée élue qui n’a cependant aucun pouvoir sur les agissements du gouvernement colonial. Les Fils de la liberté, une organisation paramilitaire, sont mis en place avec la participation de plusieurs centaines de jeunes. Pendant ce temps dans le Haut-Canada (Ontario), une partie minoritaire des élites canadiennes exige également le gouvernement « responsable », dont celui qui devient le maire de Toronto, William Mackenzie. Cependant, les colons venus d’Angleterre ainsi que les « loyalistes » (qui ont fui la révolution américaine après 1776) partagent en gros les « valeurs » et l’imagerie de l’Empire qui domine le monde à cette époque. Cette fracture affaiblit beaucoup la revendication démocratique.
La défaite
Exaspérés par le refus de négocier des autorités coloniales, les Patriotes en 1837 sont confrontés aux milices armées qui agissent en toute impunité à Montréal et à Québec. Malgré leurs efforts, les Patriotes ne sont pas organisés pour mener une lutte armée de longue durée et ils sont rapidement écrasés lors des batailles qui éclatent sur les couronnes nord et sud de Montréal. La répression est terrible : plus de 325 morts, des milliers de personnes chassées de leur foyer, la destruction de villages, etc. À Toronto, Mackenzie et des sociétés secrètes (les « chasseurs »), manifestent, mais ils sont rapidement dispersés par l’armée et ses supplétifs loyalistes. À l’été 1838, quelques centaines de combattants patriotes réfugiés aux États-Unis tentent de traverser la frontière pour renverser le pouvoir impérial et mettre en place la république du Bas-Canada.
L’appel des Patriotes
Le peuple du Bas-Canada est absous de toute allégeance à la Grande-Bretagne; le Bas-Canada doit prendre la forme d’un gouvernement républicain; que sous le gouvernement libre, tous les citoyens auront les mêmes droits; les Sauvages (…) jouiront des mêmes droits que les autres citoyens; toute union entre l’Église et l’État est déclarée abolie, et toute personne a le droit d’exercer librement la religion et la croyance que lui dicte sa conscience; la tenue féodale ou seigneuriale est abolie; l’emprisonnement pour dettes est abolie; il y aura liberté pleine et entière de presse dans toutes les matières et affaires publiques; on se servira des langues française et anglaise dans toute matière publique.
Extraits de la proclamation d’indépendance, février 18381
Malgré l’appui de la population du Bas-Canada, c’est un nouvel échec. L’empire britannique est alors au sommet de sa puissance. Le Haut-Canada est relativement tranquille. Les États-Unis ne veulent pas intervenir.
La construction du « Canada »
Après la répression du mouvement des Patriotes, les architectes du pouvoir colonial avec « Lord » Durham mettent en place un processus pour rétablir le contrôle. Ils cooptent d’ex-Patriotes comme Louis-Hippolyte Lafontaine et quelques « modérés » comme l’ontarien Robert Baldwin. Finalement, l’Empire concède le « gouvernement responsable » où les élus peuvent avoir une partie du contrôle sur le budget. En même temps, in impose la création de la « Province du Canada unie » fusionnant le Haut et le Bas Canada, ce qui minorise les francophones de la vallée du Saint-Laurent. Peu à peu se construit une nouvelle structure étatique au profit d’une élite qui devient « anglo-canadienne ». La démographie change puisqu’affluent au Canada des dizaines de milliers de pauvres qui fuient la misère en Angleterre et en Irlande. De cela émerge, en 1867, l’« Acte de l’Amérique du Nord britannique », ce qui fait de l’État fédéral une entité partiellement indépendante de l’Empire. Loin d’être un véritable compromis, ce tournant consolide la domination, comme l’explique l’historien Stanley Ryerson:
“Le caractère monarchique anglais du dominion colonial confirmait l’hégémonie britannique et canadienne-anglaise. Le rapport démographique qui se composait depuis 1850 d’une majorité anglophone et d’une minorité permanente pour les Canadiens français fit que des concessions restreintes dans les domaines linguistiques et religieux furent accordées aux Canadiens français, à titre de minorité culturelle, tandis qu’on leur refusait toute reconnaissance politique comme entité nationale. En même temps, l’expansion économique, réalisée par la construction des chemins de fer et le développement industriel et appuyée par les structures d’un Etat unitaire, relia l’essor de la société aux sources de capitaux anglaises et américaines auprès desquelles les Canadiens anglais bénéficiaient de contacts que les milieux d’affaires canadiens-français n’avaient pas. La démocratie commerciale de 1867 faisait pencher la balance en faveur de la classe capitaliste canadienne-anglaise qui l’avait façonnée.”
Au tournant du siècle, l’État canadien s’apprête à lancer de nouveaux assauts contre les classes populaires. La subjugation du Québec s’avère une arme importante dans l’arsenal des dominants. De nouvelles luttes sociales et nationales sont en gestation.